Message de Eric BARTHALON
Economiste amateur et autodidacte, grandes furent ma surprise et ma joie lorsque qu’un Français dont j’ignorais jusqu’au nom obtint en 1988 le Prix Nobel d’Economie. Le Monde célébrait la nouvelle en soulignant que l’œuvre ainsi récompensée ne se limitait pas, loin de là, au fameux paradoxe d’Allais. Qu’un compatriote ait bousculé la théorie de la décision face au risque suffit cependant à exciter ma curiosité ; ma pratique des marchés financiers m’avait déjà vaguement laissé entrevoir les carences des idées reçues en cette matière.
Faisant fi de la relative légèreté du bagage mathématique que j’avais acquis à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris, je décidai alors, avec une certaine dose de témérité, de m’engager sur les chemins ouverts par un ingénieur émérite entre tous. Accéder physiquement aux travaux d’Allais fut cependant le premier obstacle : en 1988, ils n’étaient pas encore réédités ; le temps me manquait pour visiter les bibliothèques ; Internet n’existait pas.
L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, d’une part, Marchés, capital et incertitude, d’autre part, me firent découvrir en 1989 l’existence de la formulation HRL et engendrèrent l’intuition que l’œuvre d’Allais pouvait servir à modéliser des comportements réputés non-rationnels de la part des opérateurs financiers. De plus en plus, l’observation des marchés de capitaux me suggérait en effet qu’en dépit de leur propension à se draper dans des habits d’anticipations rationnelles, la majorité des opérateurs se laisse guider, incertitude oblige, par sa mémoire du passé, en particulier lors des épisodes de bulles. Stimulé par ces lectures, mais n’ayant toujours pas lu l’introuvable Reformulation de la théorie quantitative de la monnaie, je me mis à réinventer la roue sous forme de modèles rudimentaires liant moyennes géométriques, voire même exponentielles !, des taux d’inflation passés et taux d’intérêt nominaux, empruntant ainsi la route déjà parcourue par Fisher, Cagan et Allais. La mémoire de l’inflation semblait certes plus courte en Italie qu’en Allemagne, du moins entre 1960 et les années 1990 ; je sentais bien que là résidait la difficulté, mais ne savais comment la résoudre.
La lecture, en 1998, de l’introduction à la réédition d’Economie et Intérêt me fit attendre la publication des Fondements de la dynamique monétaire en 2001 avec une impatience qui devint terreur une fois cet imposant volume dans mes mains. Mais, petit à petit, je réussis à escalader ce qui avait tout d’une infranchissable paroi mathématique. Si je n’avais pas d’abord voulu éprouver mon intuition de praticien, il est probable que je n’aurais eu ni l’énergie, ni la constance requises pour m’expliquer la formulation HRL et me convaincre qu’elle contient effectivement une théorie générale des anticipations en régime d’incertitude.
Après deux crises financières majeures en 2000 et 2007, deux crises favorisées par la croyance aveugle en la rationalité des anticipations et l’efficience des marchés, deux crises – enfin – aux coûts exorbitants pour le plus grand nombre, il m’a semblé qu’il fallait attirer l’attention des théoriciens et des praticiens sur une partie peu connue, voire oubliée, mais toujours très actuelle et très pertinente de l’œuvre d’Allais.
Un livre écrit en anglais, publié par un éditeur américain prestigieux – Uncertainty, Expectations and Financial Instability, Reviving Allais’s Lost Theory of Psychological Time (Columbia University Press, 2014) – m’a semblé être un point de passage obligé vers ce but. Je suis reconnaissant au Jury du Prix Maurice Allais 2015 d’avoir bien voulu nominer mon travail. J’espère ainsi avoir contribué à servir l’intérêt général en montrant l’actualité de Maurice Allais. J’espère continuer dans cette voie en participant aux travaux du Comité de la Fondation.