UNE DÉMARCHE PUISSAMMENT LOGIQUE …
MAIS PROFONDÉMENT DÉRANGEANTE
UNE REMISE EN CAUSE EXPÉRIMENTALE DES THÉORIES ACTUELLES
ET SI UNE VOIE NOUVELLE AVAIT ÉTÉ OUVERTE DANS LA RECHERCHE
D’UNE THÉORIE UNITAIRE DE LA PHYSIQUE ?
Par Jean-Bernard Deloly
Une règle d’or : la primauté de l’expérience
En parallèle avec les travaux qui lui ont valu d’obtenir en 1988 le Prix Nobel d’économie, Maurice Allais a consacré une partie importante de son existence à la Physique.
Son objectif : une meilleure connaissance de ses lois les plus fondamentales.
Vis-à-vis de cet objectif, c’est l’expérience qui est souveraine : les progrès résultent toujours de la mise en évidence de phénomènes inexplicables dans le cadre des théories en vigueur, d’une part parce que cela les remet en cause, bien sûr, mais aussi parce qu’il en résulte des indications pour la construction de théories nouvelles.
Tant que l’on en reste à l’énoncé des grands principes, cela fait maintenant près de deux siècles que tout ceci n’est plus vraiment contesté. Mais la réalité n’est pas pour autant satisfaisante.
- Tout ce qui se passe dans le domaine qui nous est le plus immédiatement accessible (le domaine macroscopique, sur la Terre) étant depuis des décennies réputé expliqué par les théories classiques éventuellement complétées par les corrections relativistes, la recherche de phénomènes susceptibles d’infirmer les théories en vigueur s’est pour l’essentiel retrouvée cantonnée aux domaines des extrêmes : l’astrophysique et la physique des particules.
Outre les difficultés -et le coût- de la réalisation effective d’observations, un problème majeur est que, même lorsque l’on met en évidence un phénomène nouveau, il est généralement malaisé d’en déduire quoi que ce soit de décisif, un exemple typique en étant le problème de la « matière noire » (voir encadré « la matière noire »).
Les chances de mettre en évidence un fait expérimental infirmant sans ambiguïté les théories en vigueur s’en trouvent donc extrêmement limitées.
La matière noire
Il est apparu qu’il y avait une différence entre d’une part la masse des galaxies calculée à partir de la matière observée directement, et d’autre part la masse calculée à partir de l’observation du mouvement des étoiles, en appliquant les lois de la gravitation : pour toutes les galaxies analysées, la seconde est environ dix fois plus importante que la première.
Cela est-il dû à la présence de « matière noire », ou au fait que les lois de la gravitation ne sont pas exactes (mais alors la relativité générale, qui englobe ces lois, est inexacte elle aussi, avec toutes les remises en cause conceptuelles qui en résulteraient) ? S’agissant de phénomènes qui se produisent à des millions ou des milliards d’années lumières, et qui impliquent des éléments que l’on ne connaît qu’à travers les modèles que l’on s’en est construit, gageons que l’on risque d’attendre encore un certain temps la réponse à cette question.
- Il est en outre généralement considéré que les deux théories nouvelles du 20ème siècle, la mécanique quantique et la théorie de la relativité, qui sont conceptuellement incompatibles, n’ont jamais été mises en défaut expérimentalement, chacune dans son domaine d’application. Dans cette logique la construction d’une théorie unitaire de la physique se réduit donc à un problème purement mathématique : la construction d’une théorie qui les englobe toutes deux.
C’est ainsi qu’un certain nombre de théories, qui toutes font intervenir des espaces comportant un nombre élevé de dimensions supplémentaires, ont été proposées, les plus connues étant celles qui font intervenir la notion mathématique de cordes.
Bien qu’ayant depuis plusieurs décennies mobilisé des centaines de chercheurs parmi les plus brillants de la planète, cette démarche semble bien aujourd’hui avoir conduit à une impasse : lire par exemple à ce sujet le remarquable ouvrage de Lee Smolin, « Rien ne va plus en physique ; l’échec de la théorie des cordes ».
En effet, pour qu’une théorie nouvelle soit validée, on doit en revenir à l’expérience: il faut bien sûr qu’elle soit compatible avec tous les faits expérimentaux connus, mais il faut en outre qu’elle fournisse au moins une prédiction nouvelle concernant une expérience non encore réalisée, ou l’explication d’un fait expérimental inexplicable par les théories en vigueur, et cela n’a à ce jour été le cas pour aucune des théories proposées.
Et si cette impasse ne résultait pas simplement de ce que, de ces deux théories, la relativité et la mécanique quantique, l’une au moins était fausse ?
Soulignons que deux notions sont à distinguer : l’efficacité d’une théorie (c’est-à-dire sa capacité à rendre compte plus ou moins complètement de la réalité, autrement dit son utilité empirique), et son exactitude. La relativité et la mécanique quantique sont incontestablement des théories efficaces, et cela justifie leur utilisation actuelle.
Mais efficacité ne signifie nullement exactitude, et l’histoire des sciences fournit des exemples de théories aujourd’hui reconnues fausses, voire qui se sont totalement écroulées, et qui pourtant furent remarquablement efficaces.
Ainsi la théorie des épicycles, dans laquelle pourtant la Terre était fixe, permettait de prévoir avec une étonnante précision le mouvement apparent des planètes et les éclipses, ce qui lui a permis d’être la théorie en vigueur pendant quinze siècles- jusqu’à ce que les lois de Képler l’aient rendue totalement inutile.
Il s’agissait pourtant d’une impasse conceptuelle, et toutes les recherches menées dans un cadre postulant son exactitude s’en sont évidemment trouvées stérilisées.
Et s’il ne fallait donc pas remettre l’expérience en première ligne ?
En s’attachant, avec la totale indépendance d’esprit qui est la marque de l’ensemble de son œuvre, à rechercher des phénomènes remettant en cause aussi directement que possible les théories en vigueur, c’est très exactement cette démarche qu’a adoptée Maurice Allais.
A cette fin, d’une part il a, de 1953 à 1960, conduit lui-même un certain nombre d’expérimentations dans les domaines de la mécanique et de l’optique, et d’autre part il a ressorti de l’oubli certaines observations antérieures, en en dégageant d’ailleurs des aspects qui n’avaient pas été perçus par leurs auteurs eux mêmes : les observations interférométriques de Dayton C. Miller au Mont Wilson (1925-1926), et les observations optiques d’Ernest Esclangon à l’observatoire de Strasbourg (1926-1927). Ces observations étaient toutes deux incompatibles avec le postulat de l’invariance de la vitesse de la lumière.
Il est résulté :
- De l’observation du mouvement d’un pendule, l’existence d’écarts par rapport aux lois de la mécanique classique liés à la configuration et aux mouvements des astres, et totalement inexplicables, du fait de leur ordre de grandeur, par des corrections relativistes :
– composantes périodiques liées aux mouvements de la Terre et de la Lune (les plus significatives étant les composantes lunaires);
– anomalie très marquée à l’occasion de l’éclipse de soleil du 30 juin 1954.
Notons que cette date a acquis une dimension historique, car depuis plusieurs décennies, suite notamment aux travaux du physicien italien Quirino Majorana, l’apparition d’anomalies gravitationnelles lors d’éclipses était soupçonnée. Des campagnes d’observation utilisant des gravimètres ou des inclinomètres avaient été organisées, mais sans aucun résultat.
Maurice Allais est donc le premier à avoir mis en évidence l’existence à l’occasion d’éclipses d’écarts par rapport aux lois connues de la mécanique, alors même que d’autres cherchaient depuis longtemps dans cette voie, et c’est l’une des raisons de la notoriété acquise par cette découverte, qui a par la suite été appelée « l’effet Allais ». - Des observations de Dayton C. Miller et d’Ernest Esclangon, ainsi que des expériences optiques organisées par Maurice Allais lui-même (visées sur mires et collimateurs), l’existence de phénomènes analogues (composantes périodiques inexplicables) dans le domaine de l’optique.
- L’existence de cohérences parfois remarquables entre les anomalies mécaniques et optiques.
L’analyse approfondie des dossiers fait apparaître toute la solidité des travaux de Maurice Allais. Elle fait aussi apparaître, au demeurant, que plus de cinquante ans après ses expériences, et plus de trois quarts de siècle après celles de Dayton C. Miller et d’Ernest Esclangon de Miller et d’Esclangon, il n’y a toujours pas eu de contestation probante de ses conclusions, ni d’ailleurs de celles de ses prédécesseurs.
C’est en fait un véritable gisement de phénomènes nouveaux, dont devra tenir compte toute théorie ayant l’ambition d’être unitaire, qu’a vraisemblablement découvert Maurice Allais
Il y a tout d’abord, bien sûr, tous les phénomènes qui restent à découvrir en reprenant et en approfondissant ses expériences dans les domaines de la mécanique et de l’optique, qui avaient été prématurément interrompues.
Mais Maurice Allais, plus généralement, a été aussi le premier scientifique à rechercher de façon méthodique l’existence d’écarts par rapport aux lois connues de la mécanique et de l’électromagnétisme liés à la configuration et aux mouvements des astres.
Il a été le premier à rechercher -et à mettre en évidence- l’existence de liens entre des anomalies optiques et des anomalies dans le domaine de la mécanique.
Il a été aussi le premier à souligner l’importance fondamentale des observations de longue durée (voir encadré) – et le premier à en conduire systématiquement.
Ainsi, de toutes les observations effectuées avant 1930, date à partir de laquelle, l’emprise de la théorie de la relativité sur la communauté scientifique étant devenue à peu près totale, il n’était réellement plus guère possible de remettre en question le principe de la constance de la vitesse de la lumière, les observations de Miller et d’Esclangon sont les seules à avoir été étalées sur une année environ : toutes les autres avaient été des observations ponctuelles (au maximum quelques séries de mesures réparties sur quelques jours).
Ce sont aussi les seules qui ont permis de conclure à l’existence effective de variations de la vitesse de la lumière, en l’occurrence de variations présentant une importante composante périodique diurne sidérale[1] (23h 56mn).
De l’importance fondamentale des observations de longue durée…
On ne peut en effet rien conclure d’observations courtes : si l’on observe quelque chose, on est incapable de le caractériser de façon suffisamment précise pour pouvoir l’interpréter. Ainsi les variations de vitesses d’environ 5 à 10 km/s constatées lors de la plupart des nombreuses observations effectuées au moyen d’un interféromètre par Michelson et Morley de 1887 à 1930, qui étaient très inférieures aux vitesses attendues de plusieurs centaines de km/s correspondant au déplacement de la Terre, ont été systématiquement considérées comme étant du bruit.
C’est parce que les observations de Miller ont été suffisamment nombreuses et étalées dans le temps que d’une part ce « bruit » s’est révélé comporter une importante composante diurne, et que d’autre part cette composante diurne est apparue être diurne sidérale (23h56mn), et non diurne solaire (24h), ce qui est évidemment essentiel pour son interprétation. C’est parce que les expérimentations de Maurice Allais ont duré un mois qu’il a pu distinguer, dans les anomalies de la précession du pendule, la composante diurne lunaire de 24h50 d’une composante d’environ 24h. Si l’on n’observe rien du tout, on ne peut en aucune façon en déduire l’absence d’anisotropies.
A la lumière d’observations plus récentes, tout donne à penser que cette recherche d’écarts par rapport aux lois connues de la mécanique et de l’électromagnétisme liés à la configuration et aux mouvements des astres, qui à ce jour n’a fait l’objet que de travaux marginaux, devrait être particulièrement féconde.
Ainsi non seulement l’existence de phénomènes anormaux lors d’éclipses de soleil et leur caractère inexplicable dans un cadre conventionnel peut aujourd’hui être considéré comme confirmée, mais d’une part elle ne se limite pas à des anomalies du mouvement de pendules, ni même à des anomalies dans le domaine de la mécanique (des déviations anormales de balances de torsion ont été régulièrement constatées, des modifications de la fréquence d’horloges atomiques ont été enregistrées…), et d’autre part, et ceci est particulièrement déroutant, il semble qu’elle ne se limite pas aux éclipses de soleil, et que l’on retrouve de tels phénomènes dans les éclipses de lune, ainsi que dans des alignements de planètes (une éclipse n’est qu’un alignement particulier de corps célestes).
L’un des problèmes les plus irritants du moment est l’impossibilité de connaître à mieux que 10-4 près la valeur de la constante de gravitation G, les progrès effectués dans la réduction des fourchettes d’incertitude des mesures depuis un siècle ayant simplement abouti à ce qu’elles ne se recoupent plus. Il n’est pas sans intérêt de noter que la seule mesure de G menée en continu sur une longue durée (Gershsteyn, 2001, au moyen d’un pendule de torsion) a fait apparaître, autant que l’on puisse en juger, une évolution de G liée au mouvement de la Terre (présence d’une importante composante diurne sidérale).
Soulignons enfin que toutes les expériences concernées se situent dans le domaine macroscopique, sur des sites terrestres fixes, et dans des conditions d’environnement qui n’ont rien d’extrême. Si elles sont assurément exigeantes en compétence, capacité d’organisation et motivation, les moyens à mettre en œuvre demeurent en regard de leur enjeu d’un coût modeste, et sont technologiquement très accessibles.
Les régularités au sein du système solaire
Il est impossible de ne pas mentionner l’apport de Maurice Allais à la connaissance d’un phénomène identifié depuis plus de deux siècles, mais qui n’a toujours pas pu être expliqué : l’existence de remarquables régularités au sein du système solaire.
Dès la fin du 18ème siècle il avait été remarqué que les distances entre le Soleil et les 6 planètes alors connues (Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne) avaient entre elles des relations tout à fait étonnantes, ce qui aboutit à la loi dite de Titius-Bode.
Il est ressorti par la suite (L. Gaussin, 1880) que l’on retrouvait le même type de relations au sein du système satellitaire des planètes ayant un nombre important de satellites (Jupiter, Saturne et Uranus).
A partir de données actualisées Maurice Allais a repris et complété ces travaux, en faisant en particulier intervenir la densité de l’astre central, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’alors.
Il en est résulté une loi unique prenant en compte à la fois le Soleil et ces 3 planètes.
[1] Il est rappelé qu’au bout d’une année sidérale la terre se retrouve dans la même position par rapport aux étoiles fixes, tandis qu’au bout d’une année solaire elle se retrouve dans la même position par rapport au soleil. L’année sidérale est donc plus courte d’un jour solaire que l’année solaire, et le jour sidéral plus court d’environ 4 mn que le jour solaire.