Des origines sociales modestes
Né le 31 mai 1911 à Paris, Maurice Allais est issu d’un milieu modeste de petits commerçants. Ses parents tiennent une petite boutique de crèmerie, au 83 rue Didot dans le 14ème arrondissement de Paris.
Son père meurt du typhus dans un camp de prisonniers en Allemagne, au cours de la première guerre mondiale. Maurice Allais n’a alors que quatre ans. Il restera toute sa vie profondément marqué par cette disparition qui explique sans doute pour une large part son engagement en faveur de la construction européenne. Aussi tenait-il toujours à rappeler qu’il était pupille de la Nation.
Sa mère tient successivement différents commerces et se remarie en 1923, avant de finalement divorcer en 1938. Le jeune Maurice habite tantôt chez sa mère, tantôt chez ses grands-parents maternels à Bourg-la-Reine, tantôt chez une tante en province.
Major de l’X à l’issue d’études brillantes
Dans ce contexte familial difficile, il se retrouve à l’école communale de la rue d’Alésia en 1919 avec quelques trois ans de retard. Il vouera une reconnaissance éternelle à la directrice de cette école qui lui permet de combler son retard en sautant plusieurs classes. En octobre 1921, il entre en septième au lycée Lakanal de Sceaux où il fait de brillantes études secondaires, passant en 1928 la première partie du baccalauréat latin-sciences et en 1929 un double baccalauréat de mathématiques et de philosophie. Il est régulièrement premier de sa classe, aussi bien en lettres qu’en sciences.
Passionné par l’histoire au lycée, il envisage de faire l’Ecole des Chartes, mais son professeur de mathématiques l’en dissuade et l’incite à préparer l’Ecole Polytechnique. Il est reçu au concours de l’X après une seule année de préparation au lycée Lakanal. Mais, insatisfait des perspectives offertes par son classement, il décide de démissionner et se représente l’année suivante après une seconde année de « taupe » au lycée Louis-le-Grand à Paris, au cours de laquelle il couche tous les soirs sur un lit de camp déplié dans la boutique de layette alors tenue par sa mère au 17 avenue Jean-Jaurès dans le 19ème arrondissement de Paris.
Entré dans les premiers à l’Ecole Polytechnique en 1931, il en sort major de sa promotion en 1933. Il choisit le Corps des Mines comme corps de sortie, non par vocation particulière, mais parce qu’il est de tradition, comme encore aujourd’hui, que les premiers de la « botte » de l’X choisissent ce corps en raison des perspectives de carrière qu’il ouvre.
Il effectue son service militaire à l’Ecole d’Artillerie de Fontainebleau, puis dans l’Armée des Alpes, avant ses deux années de scolarité à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.
Jeune ingénieur des Mines à Nantes et déjà chercheur autodidacte en économie
Il entre dans la vie professionnelle en octobre 1936 et après un bref passage au ministère des travaux publics où il collabore à une enquête économique sur le marché charbonnier, il est affecté à Nantes en avril 1937, comme ingénieur des Mines en « service ordinaire ». Son service s’étend à cinq départements et comporte également le contrôle des chemins de fer et des tramways.
En 1939, il est mobilisé dans l’armée des Alpes et reçoit le commandement d’une batterie d’artillerie sur la frontière italienne dans la région de Briançon. Mais la véritable guerre ne dure que deux semaines pour le Lieutenant Allais, du 10 au 24 juin 1940.
Il revient alors à Nantes où il reste jusqu’à sa nomination en octobre 1943 comme directeur du Bureau de documentation et de statistique minière à Paris, poste qu’il occupera jusqu’en avril 1948. A son arrivée en région parisienne en 1943, il s’installe dans son domicile de Saint-Cloud qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort.
A Nantes, son service administratif, d’ailleurs quelque peu allégé pendant la guerre, ne suffit pas à combler ses aspirations intellectuelles. Profondément marqué par un voyage d’études dans une Amérique en crise au cours de sa scolarité à l’X et plus généralement par le « caractère intellectuellement choquant et socialement dramatique de la Grande Dépression », et soucieux de rechercher des solutions à y apporter, il commence à s’intéresser à l’économie en autodidacte, notamment à travers la lecture solitaire des oeuvres de ceux qu’il appellera plus tard ses grands maîtres : Léon Walras, Irving Fisher, et surtout Vilfredo Pareto.
Dès 1941, il entreprend parallèlement à ses activités professionnelles la rédaction de ses deux ouvrages fondamentaux qui lui vaudront beaucoup plus tard le Prix Nobel de Sciences Economiques : « A la recherche d’une discipline économique – Traité d’économie pure » publié pour la première fois en 1943, en pleine guerre mondiale, et « Economie et Intérêt », publié en 1947.
Une carrière essentiellement consacrée à l’enseignement et à la recherche en économie
Après la guerre, il s’oriente très vite vers l’enseignement et la recherche qui constitueront les deux axes majeurs de sa carrière. Ainsi, il devient dès mars 1944 professeur d’analyse économique à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, où il continuera à enseigner jusqu’en 1988, et dès octobre 1946 directeur de recherches au CNRS (ce jusqu’à sa retraite administrative en 1980, à la tête du Centre d’Analyse Economique, doublement rattaché à l’Ecole des Mines et au CNRS).
A partir d’avril 1948, il abandonne définitivement toute activité administrative pour se consacrer exclusivement à l’enseignement et à la recherche. En 1949, il obtient le titre d’Ingénieur-Docteur de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris.
Il dirige également le Groupe de Recherches Economiques et Sociales (GRECS), qu’il a fondé en octobre 1944 avec Auguste Detoeuf et qui organise des conférences au Café Saint-Sulpice. A partir d’octobre 1953 et jusqu’en juillet 1970, cette activité se poursuit sous la forme du Séminaire de Recherches Economiques et Sociales à l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.
De novembre 1947 à avril 1968, il enseigne en outre à l’Institut de Statistique de l’Université de Paris.
Parallèlement à ses activités d’enseignement et de recherche, il participe activement comme rapporteur national ou international à différentes conférences en vue de la construction européenne. De 1959 à 1962, il est aussi fondateur et délégué général du Mouvement pour une Société Libre, organisation parapolitique de caractère libéral (au sens européen). Il s’engage également dans le débat sur l’évolution de l’Algérie en publiant notamment en 1962 un livre intitulé « L’Algérie d’Evian ».
Au cours de l’année universitaire 1958-1959, il enseigne aux Etats-Unis comme « Distinguished visiting scholar » au Centre Thomas Jefferson de l’Université de Virginie. Cette même université lui fera en 1970 une proposition d’expatriation dans des conditions matériellement très favorables, mais au terme d’une réflexion approfondie, il préférera finalement rester en France.
En 1959, il postule pour la chaire d’économie de l’Ecole Polytechnique, mais sa candidature n’est pas retenue. Il en garde beaucoup d’amertume et ressent comme une profonde injustice cette décision émanant d’une institution qui dans sa jeunesse avait incarné pour lui tant la parfaite réussite de ses études qu’une prodigieuse ascension sociale.
Le 6 septembre 1960, ce célibataire endurci qui approche la cinquantaine épouse Jacqueline Bouteloup qui fut son étudiante et qui est déjà, depuis 1952, sa fidèle collaboratrice. Devenue son épouse, elle ne cessera de participer à tous ses travaux et lui apportera constamment un soutien essentiel, jusqu’à ce qu’elle disparaisse brutalement en 2003.
Après avoir enseigné plusieurs années à l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève (octobre 1967- juillet 1970), il devient à partir de 1970 et jusqu’en mai 1985 directeur du Centre Clément Juglar d’analyse monétaire à l’Université de Paris X – Nanterre où il enseigne en binôme avec son épouse.
La Médaille d’or du CNRS lui est décernée en 1978.
En 1980, il atteint la limite d’âge du corps des Mines et doit prendre sa retraite administrative. Cependant, il poursuit inlassablement ses activités d’enseignement et de recherche.
En 1988, il reçoit le Prix Nobel de Sciences Economiques.
A la suite de cette consécration suprême, les hommages, les décorations et les honneurs se multiplient, en France comme à l’étranger, et il est très fréquemment sollicité pour des conférences, articles ou interviews. En 1990, il entre à l’Académie des Sciences Morales et Politiques.
Il continuera à publier de très nombreux ouvrages et articles presque jusqu’à sa mort qui survient le 9 octobre 2010, alors qu’il est tout proche du centenaire.
Deux violons d’Ingres : la physique et l’histoire
S’il est surtout connu comme un économiste dont l’œuvre très vaste a été couronnée par la Médaille d’or du CNRS en 1978 et le Prix Nobel de Sciences Economiques en 1988, parmi bien d’autres distinctions et prix scientifiques, Maurice Allais s’est aussi beaucoup intéressé à la physique et à l’histoire qui constituaient ses « violons d’Ingres » et qui ont absorbé une large partie de son temps.
La physique était pour lui une véritable passion depuis ses études à l’Ecole Polytechnique et il y aurait sans doute entièrement dédié sa carrière si le CNRS avait existé lorsqu’il est entré dans la vie professionnelle en 1936. De 1953 à 1960, il a mené des expériences sur le pendule paraconique, d’abord dans un petit laboratoire privé (1953-1954), puis dans un laboratoire de l’Institut de Recherche de l’Industrie Sidérurgique (IRSID) à Saint-Germain et une carrière souterraine à Bougival, mettant en évidence des anomalies non explicables par les théories communément admises.
Ces recherches ont fait l’objet de prix scientifiques français et américain. La NASA s’y est plus tard intéressée, reconnaissant l’existence d’un « Effet Allais » à l’occasion des éclipses. Maurice Allais a également publié des travaux de recherche théorique en physique, d’abord dans les années cinquante, puis dans la dernière partie de sa vie.
Par ailleurs, son intérêt pour l’histoire ne s’est jamais démenti depuis ses années d’études secondaires. En particulier, il a beaucoup travaillé, à différentes époques de sa vie, à la rédaction d’un ouvrage d’ensemble intitulé « Essor et déclin des civilisations », resté inachevé et non publié.