A compter du 15 septembre 2023, la Fondation Maurice Allais change de statut et est dénommée Fondation Maurice Allais sous égide de la Fondation Mines Paris

As of September 15, 2023, the Maurice Allais Foundation will change its statute and will be known as the Maurice Allais Foundation under the aegis of the Mines Paris Foundation

Monnaie & Intérêt

PSYCHOLOGIE COLLECTIVE ET DYNAMIQUE MONÉTAIRE CHEZ MAURICE ALLAIS

QUELQUES POINTS CLEFS POUR COMPRENDRE L’ORIGINALITÉ DE SON APPROCHE

Par Christian GOMEZ

Qui entre d’emblée dans l’exposé des modèles et des théories proposés par Maurice Allais peut être facilement décontenancé par, à la fois, l’originalité de son approche des phénomènes monétaires, qui ne correspond à rien de ce que la plupart des gens ont appris et croient connaître, la formalisation mathématique des modèles qui, pour ne pas être rédhibitoire, reste cependant ardue, et la nature de certaines hypothèses qui demandent une compréhension approfondie de sa pensée pour en saisir le sens.

 Ce qu’il faut toujours conserver à l’esprit est que la démarche d’Allais est non seulement totalement inductive, ne s’embarrassant pas des idées couramment acceptées,  mais  aussi qu’elle cherche à se soumettre à toutes les contraintes de la méthode scientifique (1968, 1989, 2001) :

  • Approche rigoureuse des faits en incluant toutes les situations possibles observables, quelle que soit la période ou le pays ;
  • Recherche de modèles de comportement unitaires, c’est-à-dire capables de représenter dans un même cadre théorique tous les faits observés, indépendamment du lieu, du temps et du cadre institutionnel ;
  • Recherche de modèles invariants, c’est-à-dire basés sur des paramètres identiques dans tous les cas, la psychologie humaine étant supposée partout la même, en dehors de constantes de calage pour tenir compte de la variabilité des cadres institutionnels ou de conditions initiales de départ pour le calcul d’indicateurs intégrant des chroniques d’événements passés ;
  • Explication, éventuellement, des régularités statistiques mises en évidence par les autres théories dans certaines situations, qui devront apparaître alors comme des cas particuliers de la théorie générale proposée.

L’approche monétaire d’Allais est un exemple achevé de l’application à l’économie de la méthode scientifique utilisée dans les « sciences dures », comme la physique.

Elle sera présentée ici sans souci de l’ordre chronologique de son élaboration progressive, mais avec l’objectif d’en faire faire comprendre en quelques traits toute l’architecture générale dans sa forme finale en l’articulant autour de deux volets : le premier couvrant la recherche des lois générales de la psychologie et du comportement économiques ; le second développant la manière dont l’évolution de cette  psychologie, à travers son impact sur les comportements, influence l’activité économique tant dans ses fluctuations conjoncturelles que dans son évolution à long terme.

Dans cet exposé, il ne sera recouru à aucune formulation mathématique élaborée.

I – Conditionnement héréditaire et comportement économique : à la recherche de lois unitaires et invariantes

Allais ne considère pas, comme la plupart des théories économiques d’hier et d’aujourd’hui, la psychologie des agents économiques comme une donnée en fonction de laquelle ces derniers vont faire des arbitrages en tenant compte de leurs contraintes budgétaires (revenu, patrimoine) et des prix relatifs des biens ou des actifs. Au contraire, pour lui, ce sont les changements mêmes de la psychologie des acteurs qui sont la clef de l’explication des phénomènes économiques, les autres facteurs éventuels n’étant que de second ordre. C’est ce qu’il va s’efforcer de faire dans son approche de la demande et de l’offre de monnaie ainsi que des taux d’intérêt.

Le conditionnement « héréditaire » comme base du fonctionnement de la psychologie des agents économiques.

A la base de l’évolution de la psychologie des agents économiques, il y a la mémorisation des événements passés qui va être formalisée par Allais dans la construction d’un « Coefficient d’Expansion Psychologique Z ». Celui-ci se caractérise par deux traits essentiels soulignant la complexité de cet effet :

Le conditionnement héréditaire des agents économiques 

Les agents économiques prennent leurs décisions en fonction de la perception qu’ils ont de la situation économique et l’analyse empirique montre que celle-ci est avant tout guidée par toute la chronique des événements passés, approximés dans le modèle d’Allais par les taux de variation de la dépense globale[1], chacune de ces variations étant amortie par un taux d’oubli par unité de temps qui fait qu’une influence est d’autant plus faible qu’elle est plus éloignée dans le temps. Ce coefficient Z est ainsi une sommation de tous ces effets dont l’importance est pondérée en fonction de leur ancienneté.

L’effet relativiste avec la prise en compte de la variabilité des effets de mémoire

Cet effet de mémoire est complexe car le phénomène de mémorisation est lui-même fonction de la situation économique. En effet, la mémoire s’efface d’autant plus vite (augmentation du taux d’oubli par unité de temps) que la situation économique est mouvante et agitée, l’adaptation des agents économiques aux nouvelles conditions devant se faire de plus en plus rapidement, comme dans les hyperinflations. Donc, dans la conceptualisation d’Allais, le coefficient Z va dépendre des taux de variation passés de la dépense globale avec des pondérations (taux d’oubli par unité de temps) dépendant elles-mêmes de la perception de la situation économique, c’est-à-dire de l’indice Z lui-même[2]. L’horizon « rétrospectif » des agents économiques capable d’influencer et de moduler leur comportement courant pourra donc varier de plusieurs années (taux d’oubli  très faible) dans des environnements économiques peu évolutifs, à quelques jours, voire quelques heures (taux d’oubli très élevés) dans des situations d’hyperinflation.

Ce coefficient Z représentatif de l’état et de l’évolution de la psychologie collective à tout moment est la pierre angulaire de toute la construction d’Allais car il va commander les comportements économiques et les taux d’intérêt.

LES RELATIONS STRUCTURELLES ENTRE LA PSYCHOLOGIE COLLECTIVE REPRÉSENTÉE PAR LE COEFFICIENT Z ET L’ÉCONOMIE À TRAVERS TROIS VARIABLES ESSENTIELLES

Dans le cadre de sa conception générale des phénomènes économiques et monétaires, Allais a cherché à intégrer dans un même cadre explicatif général : la demande de monnaie, la création de monnaie à travers le crédit et les taux d’intérêt, en les reliant tous à la psychologie collective représentée par son « coefficient d’expansion psychologique Z ».

La « loi psychologique fondamentale » d’Allais : la fonction Héréditaire, Relativiste et Logistique de la demande de monnaie (la théorie HRL) – (à partir de 1965, voir bibliographie)

Pour les théories traditionnelles, l’encaisse désirée des agents économiques s’explique essentiellement par un processus d’arbitrage avec d’autres actifs sous une contrainte de ressources (revenu ou patrimoine) et il y a autant de fonctions que de pays et de situations (normales ou exceptionnelles comme les crises déflationnistes du type 1929 ou les crises inflationnistes de type « Hyperinflations »).  L’apport d’Allais est de montrer que toutes ces théories ne reposent en fait que sur des corrélations statistiques sans valeur explicative et qu’il est possible d’expliquer la demande de monnaie dans le cadre d’une théorie unitaire et invariante, c’est-à-dire une véritable « loi psychologique fondamentale », d’une toute autre portée scientifique que celle que Keynes avait cru pouvoir dégager entre la consommation et le revenu dans « la théorie générale » (1936).

FMAMonnaie-1Pour Allais, les agents économiques, lorsqu’ils planifient les encaisses dont ils auront besoin pour satisfaire leur plan de dépenses sur l’horizon qu’ils se sont fixé, ajustent en permanence les premières (les encaisses désirées, M_D) aux secondes (les dépenses, D) , soit le rapport M_D/D, en fonction de leur perception de leur environnement économique qui est synthétisée par le coefficient Z. C’est la fonction notée \Psi(Z) qui a une forme très particulière :

  • Plus la perception de la situation économique est évolutive et agitée (Z croissant), plus les agents économiques vont réduire leurs encaisses en rapport de leurs dépenses et réciproquement dans le cas contraire (\Psi(Z) est donc une fonction décroissante de Z).
  • A la hausse ou à la baisse, ce comportement d’encaisse rencontre des limites, d’où la forme logistique : Quand Z augmente, les opérateurs s’efforceront de réduire leurs encaisses au maximum mais la limite du rapport M_D/D ne peut pas être inférieure à 0 ; quand Z diminue,  la valeur de ce rapport ne peut pas aller au-delà d’une certaine limite qui est la valeur du patrimoine financier lui-même.

Cette fonction fondamentale est de nature psychologique. Elle est la même pour tous les pays, toutes les époques et toutes les situations. Pour tenir compte des structures particulières à chaque pays (l’organisation et l’efficience du système de paiement), Allais introduit simplement une constante de calage à estimer, \Phi_0, qui est la valeur du rapport M_D/D en situation stationnaire, c’est-à-dire quand Z est nul.

La fonction d’offre de monnaie/création de crédit bancaire : la nature endogène de la création monétaire

Comme la demande de monnaie, l’offre de monnaie, c’est-à-dire, dans l’esprit d’Allais, la création de monnaie par le crédit bancaire, est elle-même complètement liée à la psychologie collective des agents économiques. En effet, l’évolution du crédit bancaire est à tout moment la résultante de deux volontés : le désir des banques de prêter et l’envie des clients de ces dernières d’emprunter. S’il est vrai que les banques peuvent être influencées par la plus ou moins grande facilité d’accès aux réserves, il est clair que les deux protagonistes sont soumis au même climat conjoncturel qui est, fondamentalement, le  facteur déterminant d’où résulte l’offre de monnaie.

Bien entendu, compte tenu des spécificités des systèmes institutionnels et des interactions entre la politique budgétaire et la politique monétaire propres à chaque pays, il était difficile pour Allais d’avoir les mêmes ambitions de généralité que pour la demande de monnaie mais, précisément, pour tenir compte des différents cas de figures tout en mettant en évidence cette endogénéité de la monnaie, il proposait , dans sa dernière spécification, une explication de cette dernière en distinguant deux composantes (1) Une tendance de long terme  de la masse monétaire ou de la base monétaire calculée directement, (2) des fluctuations autour de cette tendance essentiellement liées à la psychologie collective Z  selon une fonction croissante de forme logistique \gamma(Z), c’est-à-dire bornée supérieurement (en haute conjoncture, les banques ne pouvant augmenter démesurément leur offre de crédit par rapport à la base monétaire ainsi que le  niveau de leurs risques de crédit) et inférieurement (en période de basses eaux conjoncturelles, les banques ne pouvant accumuler des réserves improductives sans être tentées de les replacer sur le marché financier, relançant ainsi l’offre de monnaie).FMAMonnaie-2

Allais a présenté sur cette fonction beaucoup moins de travaux empiriques que sur la demande de monnaie (essentiellement sur les États-Unis) et, dans les applications de son modèle de la dynamique monétaire, il a considéré l’offre de monnaie comme une donnée (utilisation des données observées). Il n’en reste pas moins qu’elle est essentielle à la compréhension de son explication de l’instabilité des économies de marché comme nous le verrons plus loin.

Taux d’oubli et taux d’intérêt psychologique : coup de force et/ou coup de génie ?

A toutes ces contributions déjà originales à la théorie monétaire, Allais devait en ajouter une  autre, et de taille : une formulation opérationnelle du taux d’intérêt psychologique, c’est-à-dire du « ratio d’évaluation entre les biens futurs et les biens présents » pour reprendre l’expression de Mises. Allais avait déjà montré en 1947 que l’intérêt n’était pas le prix à payer pour les services du capital, ni qu’il n’était une incitation à épargner ou une récompense  pour l’abstinence, mais qu’il résultait probablement d’une disposition psychologique intrinsèque des agents économiques. Il rejoignait à l’époque déjà des auteurs comme Wicksell (« taux d’intérêt naturel ») ou Mises (avec sa notion d’ « intérêt originaire »-«originating interest») mais, comme eux, il n’avait pas une formulation opérationnelle de ce taux supposé guider tous les autres. C’est dans les années 70, suite à ses travaux sur la demande de monnaie qu’il entrevit la solution empirique du problème : l’assimilation des processus psychologiques de l’oubli et les mécanismes mentaux liés à l’appréciation des événements futurs et donc à l’actualisation, c’est-à-dire l’identification du taux d’oubli et du taux d’intérêt.  Dès lors, disposant d’une formulation du taux d’oubli (\chi) dans le cadre de la théorie HRL, il avait par là même une théorie du taux d’intérêt psychologique (i) sur lequel il pouvait fonder une théorie générale de tous les taux d’intérêt, démontrant par là même l’importance de la perception psychologique de l’environnement  (Z) sur une nouvelle variable clef de l’économie. Plus la perception allait dans le sens d’une expansion mémorisée de la dépense globale (et pas seulement des prix comme dans la théorie couramment acceptée) et plus le taux d’intérêt psychologique devait s’élever et inversement en cas de perception d’un environnement déflationniste, avec, dans l’un et l’autre cas, un effet d’hystérésis lié au processus de mémorisation.

Comme toujours chez Allais, c’est l’observation des faits qui guida sa pensée. D’abord, sa constatation que l’ordre de grandeur des taux d’oubli moyen observé était similaire aux  taux d’intérêt qui se dégageait de l’analyse historique dans différentes situations, y compris dans les hyperinflations ! Ensuite, c’est la logique même de la démarche qui l’a poussé à formuler cette hypothèse d’une relation entre les horizons rétrospectifs et prospectifs des agents économiques :

  • Quand ceux-ci, face à des conditions économiques changeantes plus rapidement qu’à l’accoutumée, vont prendre en compte les évènements passés sur des périodes de plus en plus courtes dans leur appréhension de la situation présente (taux d’oubli en augmentation), il est naturel d’inférer que la même incertitude affectera leur vision de l’avenir en raccourcissant l’horizon sur lequel ils sont prêts à s’engager pour une rémunération donnée (augmentation du taux d’actualisation) ;
  • Au contraire, quand les conditions économiques sont stables et rassurantes pour les individus, leur appréciation  conjoncturelle de la situation présente va prendre ses racines en plongeant loin dans le temps (taux d’oubli par unité de temps faibles)  et il parait plausible qu’il en sera de même dans leur attitude vis-à-vis du futur et donc qu’ils accepteront des rémunérations plus basses sur des horizons plus longs (faibles taux d’actualisation).

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Avec ces trois fonctions bien établies, Allais pouvait donc disposer de tous les instruments pour expliquer toute la dynamique économique et monétaire des économies de marché dans toutes leurs dimensions.

II- Les conceptions de la dynamique économique et monétaire chez Allais

L’originalité d’Allais ne réside pas seulement dans ses approches totalement neuves des comportements économiques mais dans sa conception générale de leur interaction pour expliquer la marche de l’économie tant dans ses déséquilibres, avec une explication nouvelle et opérationnelle des fluctuations conjoncturelles de l’activité économique et de ses crises, que dans sa dynamique à long terme en déterminant les conditions de croissance optimale du point de vue de l’optimum capitalistique et de la politique monétaire.

Les conditions « sine qua non » des fluctuations économiques et les causes intrinsèques de l’instabilité conjoncturelle

La littérature économique est pleine de théories cherchant à expliquer les fluctuations conjoncturelles de l’activité et les fameuses crises périodiques comme le montrait, dès 1937, un ouvrage comme celui de Gottfried Haberler, « Prosperity and Depression » qu’Allais tenait en haute estime. Pour résoudre le problème,  ce dernier va partir, lui, de la recherche des conditions « sine qua non » de tout mouvement de la dépense globale en reformulant la théorie quantitative de la monnaie sous une forme opérationnelle : « L’équation fondamentale de la dynamique monétaire » (EFDM). Il peut alors, utilisant les acquis de ses recherches précédentes,  démontrer comment les comportements d’offre et de demande de monnaie sont au cœur de l’instabilité des économies de marché lorsque l’offre de monnaie obéit aux «humeurs »  des agents économiques, c’est-à-dire à leur sentiment d’optimisme ou de pessimisme.

De l’équation quantitative de Fisher à l’équation fondamentale de la dynamique monétaire

L’équation quantitative de Fisher[3], qui stipule que la dépense globale D (soit les prix des biens, services et actifs multipliés par les leurs quantités respectives) est générée par le nombre de fois que les unités monétaires en circulation (M) changent de mains (Vitesse de circulation V), n’est qu’un truisme qui ne permet que de définir la vitesse de circulation de la monnaie. Elle ne peut devenir une théorie qu’en posant des hypothèses sur les causes des variations de la vitesse de circulation et de la masse monétaire. C’est précisément ce que va faire Allais en changeant complètement la perspective d’approche pour construire une théorie véritablement explicative des fluctuations de la dépense globale en mettant en évidence ses facteurs déterminants. En effet, la vitesse de circulation en tant que telle est une grandeur statistique sans contenu psychologique propre puisqu’elle n’est que la conséquence de comportements qui, eux, répondent à de véritables motivations et doivent être expliqués.

Considérant deux périodes T, chacune représentant le temps moyen qui s’écoule dans une collectivité considérée entre la recette R d’un revenu et sa dépense D, Allais va se positionner à la charnière t entre ces deux périodes pour déterminer les choix qui s’offrent à un agent économique quelconque dans cette collectivité au moment où il établit en t son plan de débours/dépenses, que ce soit en biens réels ou en actifs financiers (Allais, 1968, réédit. 2001, p. 960).

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Cet agent peut effectivement dépenser sa recette/revenu reçu dans la période T précédente auquel cas la dépense ne varie pas de période en période. Mais, s’il le désire, il peut aussi, dépenser plus (moins) que ce qu’il a effectivement gagné en utilisant trois sources possibles :

  • En faisant varier ses encaisses : Il peut puiser (augmenter) dans ses avoirs liquides en diminuant (augmentant) l’encaisse moyenne qu’il détient en permanence pour faire face à son plan de débours et aux imprévus qui peuvent se produire.  Dans le langage d’Allais, cela revient à dire qu’il a des encaisses effectives supérieures (inférieures) à ses encaisses désirées, des encaisses en excès donc (en déficit), qu’il va ajouter (soustraire) à son revenu dans le cadre de ses prévisions de débours pour la période comprise entre t et t+T ;
  • En ajustant ses positions bancaires : Il peut aussi recourir (ou rembourser) à de nouveaux (anciens) emprunts auprès des banques, ce qui injectera (retirera) un pouvoir d’achat nouveau dans l’économie, toutes choses égales par ailleurs[4], car, empruntant auprès des banques, ce sont de nouveaux moyens de paiement qui seront mis à sa disposition et non des ressources déjà préexistantes qui lui sont transférées (épargne vraie) ;
  • En émettant lui-même des promesses de payer à terme ou en réendossant des promesses préexistantes : Un autre moyen de payer, si les créanciers acceptent, est d’établir une reconnaissance de dettes (lettre de change) ou de faire circuler par endossement des effets en possession du débiteur en règlement (à terme) de ses propres dépenses.

La conclusion est donc qu’il n’est pas possible de concevoir des fluctuations de la dépense globale en valeur et donc du revenu nominal, qu’à partir de trois facteurs clefs : (1) un écart au moment de la décision t entre les encaisses effectives (M) et les encaisses désirées (M_D), soit (M-M_D), et, de période en période, une variation de la masse monétaire en circulation (\Delta M) et une variation de l’endettement extra-bancaire (\Delta E). Encore une fois, cette équation ne serait qu’une forme vide, un truisme du type Fisher, si Allais n’avait pas démontré auparavant l’existence de fonctions stables et invariantes de la demande et de l’offre de monnaie. L’endettement extra-bancaire, sur lequel les données sont rares, sera traité comme un  facteur de second ordre et laissé de côté.

L’interaction des fonctions de demande et d’offre de monnaie : le premier et seul modèle d’explication des fluctuations conjoncturelles fondé sur un processus d’ajustement des encaisses détenues aux encaisses désirées

Comme il a été décrit plus haut, la demande de monnaie (l’encaisse désirée) et l’offre de monnaie ( la création de monnaie à travers le crédit bancaire) sont toutes deux dépendantes de la psychologie collective à tout instant, c’est-à-dire de l’influence mémorisée des conjonctures passées telle qu’elle est représentée par le coefficient ZMais, et c’est là le point clef de l’explication de l’instabilité des économies de marché, cette influence s’exerce dans des sens opposés. Tout perturbation économique influençant simultanément le niveau d’encaisse désirée et l’offre de monnaie n’a aucune chance de se stabiliser par elle-même car elle ne peut être qu’amplifiée par l’interaction des comportements des différents agents économiques jusqu’à ce que le système rencontre des limites, loin de la position d’équilibre, et que les mécanismes à l’œuvre ne lui fassent rebrousser chemin dans un mouvement de balancier que rien ne peut arrêter dans le cadre institutionnel dans lequel fonctionne nos économies, c’est-à-dire dans le cadre d’un système bancaire à couverture fractionnaire des dépôts qui produit des dépôts à partir du crédit qu’il accorde.

Pour expliciter le fonctionnement du modèle d’Allais en quelques points, il suffit de partir d’une situation d’équilibre caractérisé par une parfaite coïncidence entre l’encaisse détenue et l’encaisse désirée (M=M_D) et de supposer qu’un choc mineur intervient, sous forme, par exemple, d’une injection de monnaie par le système bancaire, quelle qu’en soit l’origine (Prêt bancaire ou achat d’actifs financiers). La séquence des événements sera alors la suivante :

  • Les agents économiques vont dépenser la monnaie en excès entraînant une augmentation de la dépense globale ;
  • En conséquence, la variation positive perçue de la conjoncture (augmentation de Z va entraîner une double réaction, mais avec des effets opposés : Une diminution de l’encaisse désirée relative (M_D/D) et, concomitamment, une augmentation de la masse monétaire du fait d’un désir accru des banques de prêter et des agents économiques d’emprunter ; d’où un élargissement de la différence (M-M_D) induisant un nouveau « round » d’expansion de la dépense globale et donc de Z… et ainsi de suite ;
  • Le processus d’expansion ira s’amplifiant, chaque augmentation engendrant la suivante, mais il va nécessairement tendre vers certaines limites (au moins dans les situations normales) : Le besoin d’encaisse va continuer à décroître (en termes relatifs) mais de moins en moins vite car les agents économiques vont considérer qu’il serait risqué de le réduire plus sans se mettre en risque de liquidité et subir ainsi des  à-coups coûteux  (atteinte d’un plancher) tandis que, du côté de la création monétaire,  les banques et les agents emprunteurs, face à des bilans de plus en plus tendus (en termes de liquidité) et alourdis (par rapport à leurs fonds propres), vont eux-mêmes devenir plus prudents et mettre un frein à leur expansion (plafond) ;
  • A ce moment, la dépense globale va commencer à décélérer et, même, à cesser de croître, conduisant à un affaiblissement de Z (sentiment de plus en plus mitigé sur l’évolution de la conjoncture) avec toutes ses conséquences liées : Accroissement de l’encaisse désirée relative (M_D/D), diminution ou accroissement ralentie de la masse monétaire baisse de la dépense globale D et ainsi de suite…… Jusqu’à ce que le système rencontre ses limites en situation de basse conjoncture, frein à l’accumulation d’encaisses d’une part et excès de liquidité et allègement des bilans d’autre part, et établisse progressivement les bases de la nouvelle reprise.

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Ces phases décrivent bien sûr l’évolution du système économique  dans une situation « normale » dans laquelle l’offre de monnaie résulte des décisions des agents économiques comme dans un système bancaire à réserves fractionnaires. Dans ce cas, l’analyse mathématique et les applications empiriques montrent bien que le système est en général stable et converge vers un cycle-limite. Mais le modèle permet aussi de mettre en évidence deux cas d’une grande importance théorique selon les caractéristiques de l’offre de monnaie :

  • Cas 1 : L’offre de monnaie devient incontrôlable comme dans les situations d’hyperinflation. Dans une telle situation en effet,  compte tenu des décalages entre les recettes et les dépenses budgétaires, l’injection de monnaie n’est plus que la résultante de déficits budgétaires croissants financés par les Banques Centrales. Dans ce cas,  aucun processus de rééquilibrage ne peut intervenir et le système diverge pour littéralement « exploser » ;
  • Cas 2 : Une offre de monnaie complètement inélastique comme dans un véritable système d’étalon or (sans système bancaire à couverture fractionnaire) ou un système monétaire à monnaie fiduciaire mais avec couverture intégrale des dépôts.  Dans ce cas, toute perturbation est auto-correctrice et le système revient spontanément à l’équilibre.

L’étude de ce dernier cas, dans le cadre d’une théorie générale de la dynamique monétaire, devait d’ailleurs conforter la position d’Allais en faveur d’une réforme radicale du système bancaire dans la ligne de la réforme proposée initialement par l’École de Chicago (notamment Henry Simons) et portée par Irving Fisher, un des maîtres admirés par Allais. Elle allait être encore renforcée par sa conviction de plus en plus forte qu’il y avait des perturbations économiques, donc des amplificateurs d’instabilité monétaire, qu’aucun modèle purement économique ne pourrait jamais prétendre expliquer et donc permettre de combattre, tant leur structure était complexe.

La surimposition possible d’un facteur inconnu, mais mesurable, de nature exogène : « le facteur X » (2001)

Dans les années 80, Allais devait avancer l’idée qu’outre les facteurs endogènes, la psychologie humaine pouvait aussi être influencée par des phénomènes de nature exogène, c’est-à-dire liés à des phénomènes physiques. En effet, aucun modèle explicatif recherchant des relations, de quelque nature qu’elles soient, entre des variables économiques observables ne pouvait générer la complexité de la structure des séries observées, « celles-ci présentant  des périodicités aussi différentes que des périodicités de l’ordre de 40 mois et des périodicités de l’ordre de 6, 9, 18 ans  ou des régularités locales dont la morphologie rappelle d’une manière si frappante des fonctions presque périodiques » (Allais, 2001, p. 916) … c’est-à-dire des observations similaires à celles faites dans l’étude de phénomènes physiques (2001, p. 917).  Bien entendu, la difficulté pour le chercheur est de prendre en compte de tels phénomènes et il réfléchit beaucoup à l’impact que pouvait avoir l’introduction d’un facteur de nature quasi-périodique dans le fonctionnement de son modèle de dynamique monétaire. Il poussa cette recherche jusqu’à, quasiment, son dernier souffle car la dernière application proposée de l’EFDM avec une tentative d’introduction du « facteur X »  remonte à l’année 2000, alors qu’il atteignait ses 90 ans….. (2001, appendice, p. 1245).

Ainsi, avec la théorie monétaire des fluctuations économiques, Allais donnait pour la première fois à la Science Économique un modèle opérationnel montrant avec une force éblouissante le rôle majeur de la monnaie dans la génération de l’instabilité de nos économies, ce que beaucoup de ses prédécesseurs avaient pressenti sans jamais pouvoir le démontrer sur le plan empirique ou en s’enferrant dans des controverses sans issue :

  • soit, ils s’arcboutaient sur de simples corrélations empiriques montrant la précédence des fluctuations monétaires sur les mouvements économiques, qu’ils soient réels ou nominaux  (Friedman et Schwartz, 1963 ; Andersen et Jordan, 1968), mais ils s’attiraient invariablement l’argument « Post Hoc, Ergo Propter Hoc » (Tobin, 1970) puisqu’il n’y avait aucun modèle théorique, avec des comportements complètement spécifiés et empiriquement prouvés, pour le démontrer.
  • soit, ils cherchaient à démontrer le caractère exogène de la création monétaire, en supposant la possibilité de son contrôle par les autorités monétaires, ce qui contredisait bien entendu l’expérience courante et revenait à expliquer les crises par des « erreurs » des Banques Centrales dans la conduite des politiques monétaires (Friedman et Schwartz, 1963, 1982).

Allais, avec son approche, balaie tous ces problèmes et les résout d’une manière étonnamment simple et élégante : la création de monnaie est certes endogène au fonctionnement du système économique, à travers le mécanisme du crédit bancaire, mais il n’en reste pas moins que par son impact sur les encaisses (encaisses détenues par rapport aux encaisses désirées) et la dépense globale (la création monétaire est, ipso facto, une création de pouvoir d’achat), elle est le facteur clef de l’évolution conjoncturelle de l’économie.

Et, pour démontrer encore plus son importance et compléter sa vision d’ensemble des phénomènes économiques, il montre qu’elle dirige également le mouvement de fond des taux d’intérêt et, par eux, qu’elle a des conséquences sur le processus de croissance lui-même des économies.

La détermination des taux d’intérêt et le processus de croissance des économies dans la théorie monétaire de Maurice Allais

Sans traiter dans toute sa complexité l’analyse des taux d’intérêt faite par Maurice Allais dans ses contributions majeures comme « Économie et Intérêt » (1947) et les arcanes de sa théorie du capital, car elles feront l’objet d’autres contributions spécialisées, il paraît utile de comprendre, d’abord, comment l’explication de l’évolution des taux d’intérêt s’insère dans sa théorie de la dynamique monétaire et, ensuite, comment le niveau du taux d’intérêt psychologique peut influer sur l’optimum capitalistique du processus de croissance d’une économie.

Le taux d’intérêt psychologique et la dynamique des taux d’intérêt du marché

Dans son approche de 1947, « Économie et Intérêt », Allais construisait déjà une théorie des taux d’intérêt qui stipulait que tous les taux de marché pouvaient être représentés comme une combinaison de deux types de déterminants :

  • Le taux d’intérêt psychologique qui exprime à tout moment la « préférence temporelle » (Time Preference) et  donne de ce fait  la direction générale du taux de marché ;
  • Les diverses primes et coûts dépendant des caractéristiques  de l’actif : sa date d’échéance, sa liquidité,  son niveau de risque (sa notation en termes de risque) et les différents coûts liés à sa détention.
Taux d’intérêt psychologique, « purs » et de marché (Allais, 1947, p.255-257)
Situation d’équilibre i_k,i_j : Taux d’intérêt “purs” à court (k) et long terme (j)
i=i_K=i_j k,j : Taux d’intérêt du marché à court (k) et long terme (j)
Définition des taux d’intérêt de marché l_k,l_j : Primes de liquidité afférentes à k et j
k=i-l_k \epsilon_j: Primes de risque
j=i-l_j+\epsilon_j+c_j c_j : Coûts de gestion (transaction, conservation, gestion)

Avec la modélisation du taux d’intérêt psychologique, Allais ouvre la voie à des modèles opérationnels pour l’ensemble des taux d’intérêt[5]. Car, pour chaque taux d’intérêt, selon son terme, la profondeur de son marché et la qualité du débiteur, il convient de combiner le premier, comme facteur directionnel majeur de la tendance des taux d’intérêt, avec des facteurs explicatifs des primes de liquidité et de risque propres à chacun d’eux.  Ainsi, en 1977,  un de ses élèves, Jean-Jacques Durand, expliquait la dynamique des taux d’intérêt à court terme k sur deux périodes très différentes aux États-Unis, 1919-1939 (période incluant donc « la grande dépression ») et 1947-1972 (période incluant la montée de l’inflation), en reliant la différence (i-k) (prime de liquidité) aux réserves libres ou aux réserves non empruntées des banques, obtenant ainsi une explication des taux d’intérêt très supérieurs à ceux de la littérature avec un nombre de paramètres arbitraires réduits, le même taux psychologique calculé que celui dérivé du modèle de demande de monnaie (donc en ajustant deux phénomènes totalement différents, la masse monétaire d’un côté, et le taux d’intérêt de l’autre)  et les mêmes paramètres estimés pour les deux périodes…..

Taux de croissance de la dépense globale, taux d’intérêt psychologique et optimum capitalistique

Dans le même cadre d’analyse, les réflexions sur la réalisation des conditions de l’optimum capitalistique, si brillamment démontrées pour la première fois par Allais (1947)[6], prennent une nouvelle dimension. En effet, la théorie stipule que, dans une situation d’équilibre dynamique :

  • Le niveau de la production observée (Q) comparativement au niveau maximum de production qu’il est possible d’atteindre (Q_M) avec un niveau optimum de capital dépend crucialement de la différence (i-x) entre le taux d’intérêt psychologique et le taux de croissance du revenu nominal/dépense globale.
  • Le ratio est maximum (Q/Q_M=1) quand cette différence notée u est nulle, c’est-à-dire quand x=i,  situation dénommée en économie « la règle d’or » (« Golden Rule »).
  • S’il n’en est pas ainsi, l’économie peut être considérée comme sous-capitalisée si u>0 ou i>x et surcapitalisé si u<0 ou i<x [7].

Formellement, le modèle construit par Allais établit qu’il y a une relation linéaire  entre le «différentiel de PIB par rapport à son potentiel maximum » (Q/Q_M) et la différence (i-x), c’est-à-dire le différentiel entre le taux d’intérêt psychologique et le taux d’expansion de la dépense globale.

Il s’agit là d’un résultat très important du point de vue de vue de la conduite de la politique économique, particulièrement de la politique monétaire. En effet, à  partir  du moment où les conditions de formation du taux d’intérêt psychologique i sont connues, il paraît possible, d’une part, d’avoir une théorie complète de la dynamique économique et d’en connaitre les conditions en régime d’équilibre dynamique mais aussi, d’autre part, de s’interroger sur l’existence d’un  taux de croissance de la dépense globale qu’il conviendrait de viser par une politique monétaire adéquate pour satisfaire aux conditions de la croissance optimale. Ici, nous débouchons sur toutes les problématiques liées à la recherche d’une croissance monétaire optimale dans la mesure où i dépend de Z qui dépend lui-même du taux de croissance de la dépense globale (x)…qui dépend lui-même de M.

Conclusion

Tout au long de sa démarche, Allais se sera efforcé de montrer que le but de la science économique est de mettre en évidence les comportements réels des agents économiques et de se détacher des théories abstraites reposant sur des schémas a priori de comportement. La science économique est d’abord une science d’observation et c’est cette seule observation méticuleuse des faits dans tous les pays et dans toutes les situations qui doit permettre de construire de véritables théories, c’est-à-dire des modèles explicatifs capables, avec la plus grande sobriété possible en matière de paramètres utilisés,  de représenter tous les cas observés.

La construction de ses modèles de comportement, la demande de monnaie comme l’offre de monnaie ou le taux d’intérêt psychologique,  est un exemple de la voie qu’il souhaitait ouvrir à la science économique :

  • Mémorisation des phénomènes passés : observation des corrélations statistiques entre M/D et les taux de variation passés de la dépense globale ;
  • Variabilité du taux d’oubli : constatation d’un raccourcissement ou d’un allongement des périodes  à prendre en compte dans les calculs précédents selon l’état de la conjoncture ;
  • Forme logistique : analyse de la forme de la relation entre M/D et les taux de variation de la dépense globale en incluant dans une même représentation graphique tous les cas observés possibles (pays, périodes) ;
  • Analogie de l’oubli et de l’intérêt : similitude constatée des taux d’oubli calculés et des taux d’intérêt observés…..

Et ainsi de suite… Allais, bien sûr, étudiait au préalable toutes les théories existantes, mais, dans pratiquement tous les cas, aucune ne pouvait résister une fois celles-ci passées au crible des critères de pertinence qu’il s’était fixés. Il n’en retenait que quelques régularités qu’elles pouvaient mettre en évidence dans certains cas particuliers et que tout modèle alternatif, pour être valide,  devait nécessairement reproduire et expliquer dans un autre cadre théorique.

Par ailleurs, l’observation et sa connaissance des phénomènes économiques lui avaient donné une claire conscience de l’interdépendance généralisée qui présidait aux mouvements économiques. En 1998, il précisait ainsi sa conception générale :

« L’évolution économique est dominée à tout instant par des relations de cause à effet, mais ces relations de causalité masquent une interdépendance sous-jacente qui constitue la caractéristique effective et profonde de l’économie. En fait, la dépendance entre l’état E_n de l’économie et les états précédents E_{n-1}, E_{n-2},\dots est une dépendance héréditaireE_n=f(E_{n-1}, E_{n-2},\dots, E_{n-p},\dots) de sorte qu’à l’équilibre en régime permanent on a : E=f(E,E,\dots, E,\dots). On voit comment les relations d’interdépendance sont liées aux relations de causalité » (Allais, 1998, p. 45, les caractères en italiques sont de l’auteur)

C’est exactement ce phénomène d’interdépendance généralisée que traduit sa théorie de la dynamique monétaire. Les fluctuations de la dépense globale peuvent être expliquées par des variables monétaires (l’ajustement des encaisses effectives aux encaisses désirées et les variations de la masse monétaire en circulation résultant ou non du mécanisme du crédit) mais ces variables monétaires sont elles-mêmes fondées sur des comportements économiques qui sont influencés par les fluctuations passées de la dépense globale à travers l’impact de ces dernières sur la psychologie collective des agents économiques.

FMAMonnaie-5

Et, entraînées par cette dynamique de fond, toutes les variables économiques observables sont animées, avec des avances ou des retards les unes par rapport aux autres, d’un même mouvement général qu’il faut expliquer. Une explication à partir d’un modèle purement endogène comme « l’équation fondamentale de la dynamique monétaire »  …. en le combinant éventuellement avec des influences « exogènes » (un « facteur X ») car, là aussi, l’observation de la complexité des faits relève des coïncidences troublantes avec la structure d’un grand nombre de phénomènes physiques. L’observation… toujours l’observation… et l’analyse rigoureuse des faits….. La « règle d’or » chez Allais.

Face à une telle exploration conduisant à un renouvellement complet de notre compréhension des phénomènes monétaires, il n’est finalement pas si étonnant que les théories monétaires d’Allais aient été largement ignorées en dépit de toutes les preuves empiriques apportées et de ses réfutations en règle des quelques chercheurs américains qui avaient tenté de remettre en question sa théorie de la demande de monnaie.  Il faut du temps pour que les idées nouvelles tracent leur chemin et, d’abord, que les théories en vogue s’effondrent les unes après les autres comme nous avons pu le constater avec la crise de 2007-2008…. Face au champ de ruines qu’est devenue leur science, beaucoup d’économistes, en recherchant les voies d’un renouveau possible, retrouveront nécessairement les traces ineffaçables de l’œuvre de Maurice Allais.

Bibliographie

I. Sur sa philosophie scientifique

Allais (Maurice): L’économique en tant que science, Revue d’économie politique, janvier 1968, p. 5-30

  • : The Economic Science of Today and Facts. A Critical Analysis of Somme Characteristic Features, International Conference on Global Disequilibrium, Mac Gill University in Global Disequilibrium on the World of Economy, ed. M.Baldassary, J.Mac Callum, R. Mundell, St Martin’s Press, 1989, p. 25-26
  • : La passion de la recherché, Autoportraits d’un autodidacte, Éditions Clément Juglar, 2001, 487 pages (pour une vue très générale des conceptions d’Allais en matière de méthodologie et de recherche scientifique)

II. Sur ses théories de la demande de monnaie, de l’offre de monnaie, des taux d’intérêt et de la dynamique monétaire

Allais (Maurice) : Économie et Intérêt, 1947, Nouvelle édition 1998 avec nouvelle introduction générale de l’auteur, Éditions Clément Juglar, avec Introduction : 265 pages, texte de 1947: 800 pages et  Appréciations : 112 pages.

Allais (Maurice) : Les fondements de la dynamique monétaire, Éditions Clément Juglar, 2001, 1302 pages, avec, notamment :

  • Une introduction générale de l’auteur sur ses conceptions d’ensemble et, en particulier, sa conception de la dynamique monétaire et des taux d’intérêt p. 21-214
  • Articles sur la génération endogène des fluctuations conjoncturelles, p. 219-374 : Mémoires d’Innsbruck (1953) p. 221, d’Uppsala (1954) p. 253, Paris (1955) p. 341
  • Articles relatifs à la mémoire du passé comme facteur déterminant du présent, l’approche héréditaire et relativiste avec : La reformulation de la théorie quantitative de la monnaie (1965) p. 377, A Restatement of  the Quantity Theory of Money (1966) p. 579, Forgetfulness and Interest (1972) p. 617, Tableaux de synthèse (1968) p. 653
  • Extension de l’approche héréditaire et relativiste : la formulation héréditaire et relativiste de l’offre de monnaie (1970) p. 673, La création de monnaie au cours des hyperinflations (1970) p. 685, The Psychological rate of Interest (1974) p. 689, A New Empirical approach of the Hereditary and Relativistic Theory of the Demand for Money (1984), Growth and Inflation (1968) p. 785, Inflation et Croissance, Tableaux de Synthèse (1968) p. 859,
  • Articles et mémoires relatifs aux facteurs exogènes de la dynamique monétaire p. 871-954 avec : Analyse des séries temporelles (1980), Structure des séries temporelles (1982), Facteurs exogènes des fluctuations conjoncturelles (1984),….
  • Mémoires et études sur la théorie générale de la dynamique monétaire, p. 955-1026 avec : L’équation fondamentale de la dynamique monétaire (1968) p. 957, La génération endogène des fluctuations conjoncturelles (1968) p. 969, La génération exogène des fluctuations conjoncturelles (1982) p. 1011
  • Critiques adressées aux théories d’Allais et ses réponses, p. 1027-1216, voir notamment son article : The empirical Approaches of the Hereditary and Relativistic Theory of the demand for money, Results, interpretation, criticisms and rejoinders, 1985, p. 1135-1216
  • Appendices avec, notamment, l’appendice B: Une vérification d’ensemble de l’équation fondamentale de la dynamique monétaire et de la formulation héréditaire et relativiste de la demande de monnaie (2000), p. 1245-1302
  • Appendices avec, notamment, l’appendice B: Une vérification d’ensemble de l’équation fondamentale de la dynamique monétaire et de la formulation héréditaire et relativiste de la demande de monnaie (2000), p. 1245-1302

III. Quelques ouvrages cités dans le cours de l’exposé

Andersen( Leonall C.), and Jordan (Jerry L.) : “Monetary and Fiscal Actions: A Test of Their Relative Importance in Economic Stabilization.” Federal Reserve Bank of St. Louis Review 50, November 1968, p. 11-24

Cagan (Phillip) : The Monetary Dynamics of Hyperinflation, in Studies in the Quantity Theory of Money, edited by Milton Friedman, The University of Chicago Press, 257 pages, p. 25-117

Durand (Jean-Jacques) : La dynamique des taux d’intérêt à court terme, États-Unis-Unis 1946-1972, Thèse pour le Doctorat d’état, Université de Paris-X Nanterre

  • : La théorie héréditaire et relativiste : Application au taux d’intérêt à court terme, États-Unis 1946-1972, Economie et Sociétés, Série MO, 1979

Fisher (Irving ) : Our Instable Dollar and the so-called Business Cycle, Journal of the American Statistical association, june 1925, p. 179-202

Friedman (Milton)  and Schwartz. (Anna J.) : “Money and Business Cycles.” Review of Economics and Statistics 45, February 963, Supplement: 32-64.

  • : A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press, 1963, 860 pages
  • : Monetary Trends in the United States and the United Kingdom, Their Relation to Income, Prices, and Interest rates, The University of Chicago Press, 1982, 664 pages

Haberler (Gottfried) :  « Prosperity and Depressions, A Theoretical Analysis of Cyclical Movements»: League of Nations, First Edition 1937, 532 pages ;  réédition  Transaction Publishers, 5 Octobre 2011, 530 pages  et également par le  Ludwig Von Mises Institute (2011)

Keynes (John M.): The General Theory of Employment, Interest and Money, 1936, traduction française, Payot Paris, 1969, 407 pages

Tobin (James): Money and Income : Post Hoc Ergo Propter Hoc, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 84, No. 2. ,May, 1970, pp. 301-317.


[1] Nous reprenons ici la terminologie d’Allais pour qui, au niveau de la collectivité, c’est de l’ensemble des transactions dont il faudrait tenir compte et non seulement des transactions finales estimées dans le PNB. Ceci dit, dans les applications empiriques, c’est toujours du PNB nominal dont il est question.

[2] Cette introduction des taux d’oubli variables en fonction de la conjoncture est la véritable contribution originale d’Allais à l’analyse économique. En effet, les effets du passé  étaient connus dans la littérature économique  anglo-saxonne sous le nom de  “distributed lags” et ils furent introduits pour la première fois par Fisher dans  son étude sur la relation entre les prix et les taux d’intérêt (1925) et utilisés ensuite tant par Cagan (1956) dans son étude sur les  phénomènes d’hyperinflation que par Friedman dans sa théorie du revenu permanent (1959).

[3] L’équation de Fisher: MV=D=kPQ d’où V=D/M=kPQ/M disait simplement que le nombre de fois qu’une unité monétaire passait de main en main dans une unité de temps donné  générait un flux en valeur de transactions sur cette période  et donc le revenu national Y ,si on supposait une certaine proportionnalité entre la première et la seconde, une fois prises en compte les productions intermédiaires.

[4] Car le raisonnement est mené ici au nom d’un agent quelconque  représentatif de l’ensemble de la collectivité. Il est évident que, pris individuellement, chacun peut augmenter sa dépense en empruntant à un autre, directement ou via un intermédiaire financier, mais dans ce cas là, il n’y a pas d’augmentation de la dépense au niveau global puisque la dépense de l’un est compensée par la rétention de l’autre. C’est tout ce qui fait la différence entre la création monétaire et la mobilisation de l’épargne.

[5] Pour le taux d’intérêt à long terme, voir (Allais, 1974, p.285-331) ou (Allais, 2001, p.691-737), pour le taux à court terme, voir (Durand,1977)

[6] … mais connues dans la littérature sous le nom de l’économiste américain Phelps….

[7]  Allais, 1969, p. 388