Les multiples honneurs qui lui ont été faits, les superbes hommages qui ont été rendus à son œuvre, la consécration suprême, bien que tardive, apportée par le Prix Nobel ne doivent pas dissimuler les oppositions auxquelles Maurice Allais s’est souvent heurté.
Son incessant combat contre les « vérités établies », mené en totale indépendance et le plus souvent à contre-courant des idées dominantes de l’époque, conjugué à l’intransigeance de son caractère, lui a valu bien des difficultés.
Ainsi qu’il le déclare lui-même dans son allocution prononcée lors de l’hommage qui lui a été rendu le 23 mars 1989 à la Sorbonne à la suite du Prix Nobel :
« Durant toute ma carrière en effet je me suis trouvé le plus souvent à contre-courant des idées dominantes et, comme le savent beaucoup d’entre vous, j’ai dû faire face à bien des incompréhensions, à bien des oppositions, à bien des obstacles, à bien des échecs, dont certains durement ressentis. »
Quelques exemples marquants des difficultés rencontrées par Maurice Allais
Une élection difficile à la chaire d’économie de l’Ecole des Mines en 1944
« En 1944, à la suite d’une très forte opposition en raison de mon utilisation des mathématiques en économique, j’ai failli ne pas être élu professeur à l’Ecole des Mines. Mais aujourd’hui l’utilisation des mathématiques n’a plus à être défendue. C’est même l’excès contraire que l’on constate (…) »
(Extrait de la lettre de Maurice Allais adressée le 30 janvier 1986 au Professeur Bertrand Munier, co-éditeur avec Marcel Boiteux et Thierry de Montbrial de l’ouvrage « Essais en l’honneur de Maurice Allais. Marchés, capital et incertitude », publiée dans « La passion de la recherche », Editions Clément Juglar, 2001)
L’échec de sa candidature à la chaire d’économie de l’Ecole Polytechnique en 1959
« Ma candidature à l’Ecole Polytechnique en 1959 a échoué à la suite d’une campagne acharnée s’appuyant sur le « danger » que mes idées libérales étaient susceptibles de présenter pour des générations de polytechniciens. Cependant mes idées libérales n’étaient que la préfiguration de celles qui sont généralement admises aujourd’hui comme vérités d’évidence. »
(Extrait de la même lettre de Maurice Allais au Professeur Bertrand Munier du 30 janvier 1986)
Selon certains de ses amis, Maurice Allais aurait fait l’objet à cette époque d’une véritable cabale antilibérale. Ses travaux iconoclastes en physique auraient également joué en défaveur de sa candidature.
Louis Rougier, alors Professeur agrégé à l’Université de Caen, a ainsi dénoncé cette « puissante cabale antilibérale » dans un texte intitulé « Scandale à Polytechnique » (Imprimerie des Tuileries, 354 rue Saint-Honoré, Paris, texte publié également dans « Les Ecrits de Paris », 1959) où il écrit :
« Pour un tel enseignement, le choix du professeur doit prendre en considération deux critères essentiels : les qualités pédagogiques et les qualités de chercheur. (…) Un corps, chargé du recrutement professoral, doit tenir compte de ces deux facteurs (…). Mais, en aucun cas, sous aucun prétexte, il ne doit, sans forfaiture, écarter un candidat qui, de l’avis unanime, possède cette double qualification : surclasser tous ses concurrents au double point de vue scientifique et pédagogique. Or, tel est précisément ce qui vient de se passer pour la chaire à pourvoir à l’X. »
Avec le recul du temps, Jean Tirole, élu membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques au fauteuil de Maurice Allais, relève dans sa Notice sur la vie et les travaux de Maurice Allais, lue lors de la séance du lundi 26 novembre 2012 :
« Un point noir de sa carrière d’enseignant, cependant : en 1959, un fonctionnaire habitué des cabinets ministériels lui fut préféré pour enseigner l’économie à l’Ecole Polytechnique. Pour comble d’insulte, le Conseil de Perfectionnement de l’X reconnut unanimement que le classer second n’était pas raisonnable eu égard à sa stature et … décida de classer second un troisième candidat (de telles pratiques subsistent ; par exemple j’ai observé une stratégie analogue il y a une quinzaine d’années lorsqu’un grand économiste nord-américain fit l’erreur de s’installer en France). Maurice Allais fut profondément blessé par cette décision très injuste d’une école qu’il vénérait et qui avait été pour lui un tremplin social. »
Deux candidatures malheureuses à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, en 1956 et 1979
Maurice Allais s’est présenté sans succès à deux reprises à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, en 1956 au fauteuil de Charles Rist et en 1979 au fauteuil de Jacques Rueff.
Ce n’est qu’en 1990, après le Prix Nobel, qu’il est enfin accueilli au sein de cette prestigieuse académie, succédant à Guillaume Guindey, et devient membre de l’Institut.